Entretien avec le Dr Florence Pasquier service de Neurologie et Centre de la mémoire, CHRU de Lille
La maladie d’Alzheimer est-elle une fatalité ou peut-on intervenir précocement pour la prévenir ? La question sous tend un enjeu majeur alors que le nombre de personnes atteintes, compte tenu du vieillissement de la population, est en nette progression et que, à ce jour, les différentes options thérapeutiques se sont révélées décevantes. La correction des facteurs de risque cardiovasculaires, l’amélioration des conditions de vie, mais surtout de l’éducation ont un impact positif sur l’âge d’apparition de la maladie. Des essais de traitements au stade asymptomatique chez des sujets à risque sont en cours.
La prévention des symptômes qui caractérisent la maladie d’Alzheimer serait théoriquement possible puisque l’on sait que les lésions cérébrales s’installent 15 à 20 ans avant l’apparition des signes cliniques, explique le Pr Pasquier. Le diagnostic peut ainsi être porté à la phase asymptomatique par l’imagerie avec la mise en évidence de plaques amyloïdes au PET scan et par des biomarqueurs identifiés dans le liquide cérébro-spinal (LCS). L’accumulation du peptide bêta amyloïde est sans doute le starter de la maladie, mais la dégénérescence neurofibrillaire qui est à l’origine des symptômes est due à une déformation de la protéine tau. Cette protéine anormalement phosphorylée se propage de cellules en cellules. L’atteinte touche initialement le cortex entorhinal puis l’hippocampe, qui se trouvent dans la partie interne du lobe temporal, région clé pour la mémoire récente, et à l’isocortex et d’autres régions du cerveau, avec alors le développement d’autres troubles cognitifs comme une désorientation tempo-spatiale et de troubles du langage et du raisonnement, mais, comme le souligne le Pr Pasquier, sans atteinte motrice ni sensorielle. Au début et pendant de longues années, le cerveau compense ces lésions et le sujet ne présente aucun symptôme cognitif. Les essais pour empêcher cette cascade ont eu jusqu’à présent peu de succès, sans doute parce qu’ils ont tous concerné des patients symptomatiques, c’est-à-dire à un stade évolué de la maladie. L’espoir repose actuellement d’une part sur la prévention et la prise en charge des facteurs de risque identifiés afin de retarder l’expression de la maladie, d’autre part sur des essais thérapeutiques menés chez des sujets à haut risque familial ou porteurs de lésions mais à un stade asymptomatique de la maladie.
Les facteurs de risque modifiables
Le délai entre le début des lésions et l’expression clinique de la maladie est très variable. Sur un terrain prédisposé, un certain nombre de facteurs interviennent. Tout d’abord l’âge, plus le sujet est âgé plus le risque est élevé. D’autres facteurs sont modifiables. On sait en effet que l’ensemble des facteurs de risque cardio-vasculaire, le diabète, l’hypertension artérielle, l’hypercholestérolémie, sont associés à une augmentation du risque de développer la maladie. Le sur risque associé à chacun de ces facteurs est modeste mais leur accumulation peut avoir un impact significatif sur l’accélération des lésions cérébrales. La prise en charge de ces facteurs permet de reculer l’expression de la maladie. L’éducation joue également un rôle important : de nombreux travaux ont montré que l’activité intellectuelle a une action protectrice. L’augmentation du niveau éducatif de la population et l’amélioration des conditions de vie ont ainsi permis de repousser l’âge d’entrée dans la maladie et de réduire le nombre de sujets atteints dans les tranches les plus jeunes. Les études épidémiologiques ont montré que le pourcentage de sujets atteints par tranche d’âge a diminué au cours des dernières décennies, même si le nombre global de patients a beaucoup augmenté en raison de l’allongement de l’espérance de vie. Ainsi par exemple, le pourcentage de sujets âgés de plus de 60 ans atteints de maladie d’Alzheimer dans la cohorte de Framingham est passé de 2% à 1,4% en 30 ans. Si l’on considère toutes les causes de démence, il est passé de 3,6 à 2% sur la même période (1).
Le rôle préventif des estrogènes
Quel est l’impact de la ménopause ? La maladie d’Alzheimer touche de façon égale les hommes et les femmes jusqu’à l’âge de 75 ans, mais, au delà, les femmes sont beaucoup plus nombreuses à être affectées, ce qui pourrait suggérer le rôle préventif des estrogènes. Leur taux diminue certes au moment de la ménopause mais l’imprégnation se poursuit pendant des années, ce qui expliquerait que la différence entre les sexes n’apparaissent que tardivement. Par ailleurs, les femmes qui présentent de nombreux symptômes au moment de la ménopause sont plus à risque de déclin cognitif, si elles ne bénéficient pas d’une hormonothérapie substitutive, en comparaison de celles qui ont peu de manifestations vasomotrices. Autre argument attestant de l’impact des estrogènes sur les fonctions cognitives : les patientes qui reçoivent un traitement antihormonal dans le cadre du traitement d’un cancer du sein se plaignent aussi souvent de troubles de la mémoire.
L’intérêt du THM
Une étude récente vient de montrer que les femmes finnoises traitées par 17b estradiol avaient un risque de décès attribuable à une démence moindre que les femmes non traitées : 38% de moins de démences vasculaires et 17% de moins de MA, quelle que soit la voie d’administration. Ce traitement évite 10 décès par démences vasculaire et 5 décès par MA en traitant 10.000 patientes pendant 5 ans (2).
Des essais thérapeutiques au stade asymptomatique de la maladie
Si la prévention et la prise en charge de l’ensemble de ces facteurs de risque sont des éléments essentiels dans la lutte contre la maladie d’Alzheimer, l’espoir repose aujourd’hui sur des traitements administrés au stade asymptomatique qui permettraient de différer le développement des lésions, voire de les faire disparaître. Deux types d’études sont en cours, les premières portent sur les formes génétiques de la maladie qui concernent environ 1% des patients. Il s’agit de mutations autosomiques dominantes touchant donc un membre de la famille sur deux dès l’âge de 45-50 ans. Ces études incluent des parents de premier degré de sujets atteints. Les secondes sont réalisées chez des personnes de plus de 60 ans qui n’ont pas de symptômes mais qui ont voulu faire des tests et chez lesquels des dépôts amyloïdes ont été décelés au PET scan et des biomarqueurs mis en évidence dans le LCR. . Deux approches thérapeutiques sont évaluées : l’immunothérapie anti-peptide bêta et un traitement qui empêche la sécrétion de ce peptide. Les résultats sont attendus d’ici 3 à 4 ans.
Références : (1) Satizabal et al, NEJM 2016 / (2) Mikkola et al Journal of the International Menopause Society.