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Lutte contre la maltraitance des personnes âgées

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Obligation, reconnaissance ou piété filiale : les descendants ont-ils une dette envers leurs ascendants ? « Ne pas honorer la vieillesse, c’est démolir la maison où l’on doit coucher le soir » (Alphonse Karr). Isolement, insultes, injures, hurlements, infantilisations, menaces, intimidations, humiliations, absence ou insuffisance d’hygiène, de nourriture de surveillance et de sécurité, exploitation financière : les personnes âgées doivent-elles tout accepter de leurs enfants pour continuer de vivre à domicile ? Quelle sont les règles qui permettent d’appréhender le phénomène de la maltraitance et d’y répondre ? « La maltraitance des personnes âgées consiste en un acte unique ou répété, ou en l’absence d’intervention appropriée, dans le cadre d’une relation censée être une relation de confiance, qui entraîne des blessures ou une détresse morale pour la personne âgée qui en est victime » (Définition de 1995 de The International Network for the Prevention of Elder Abuse reprise par l’OMS).

La maltraitance à domicile, qui représente plus de 70% des cas de maltraitance, est intra-familiale. Dans 30% de ces cas, les personnes mises en cause sont les enfants de la personne âgée. La maltraitance intra-familiale se manifeste le plus souvent par des mauvais traitements psychologiques (omissions, négligences et délaissement), l’exploitation financière et des abus de faiblesse.

La maltraitance envers les parents âgées : un cumul de facteurs

La difficulté de la prévention et de la lutte contre la maltraitance à domicile des personnes âgées réside dans le fait que ces violences sont multiformes et parfois insidieuses et que les victimes ne sont pas aptes à les dénoncer ou s’abstiennent de le faire par crainte de l’abandon. Il ne s’agit pas, ici, de jeter l’opprobre sur les descendants qui, avec les conjoints ou concubins, bien intentionnés, sont les principaux aidants des personnes âgées à domicile. En effet, l’état de santé ou le caractère de la personne âgée peuvent favoriser l’installation d’un climat empreint de violence. En outre, si le descendant aidant est fragilisé physiquement et/ou moralement cela peut amener des comportements abusifs à l’égard de la personne âgée. Enfin, le contexte dans lequel évoluent la personne âgée et ses enfants peut également contribuer à la situation de maltraitance (antécédents familiaux, domicile inadapté, isolement, difficultés financières…). Malgré tout, le droit doit pouvoir appréhender le phénomène social que constitue la maltraitance des personnes âgées.

Les devoirs parents/enfants et enfants/parents

Il appartient aux parents jusqu’à la majorité de l’enfant de le protéger dans sa sécurité, sa santé et sa moralité, pour assurer son éducation et permettre son développement, dans le respect dû à sa personne (Article 371-1 du Code Civil). Au-delà de la majorité, l’obligation d’entretien (ou obligation alimentaire) des parents à l’égard de l’enfant perdure si celui-ci poursuit des études ou se trouve dans le dans le besoin. Aussi, personne ne s’offusque de voir un fils ou une fille se tourner vers ses parents pour solliciter leur aide ou retourner chez eux lorsqu’il ou elle rencontre des difficultés sociales, financières ou de santé. Cela semble normal, voire naturel. Malheur aux parents qui laisseraient penser ou entendre qu’ils n’aideraient pas leur enfants, car ils seraient sanctionnés par la réprobation morale bien avant d’encourir la moindre sanction juridique. Si le devoir le devoir des enfants envers les parents est notamment d’ordre moral, celui-ci n’est pas considéré comme étant aussi fort que celui des parents à l’égard de leurs enfants. Cela tient, notamment, au fait que même diminués, les parents ne deviennent pas les enfants de leurs enfants. La question du devoir de bientraitance des enfants envers leurs parents âgées relève à la fois des sphères juridiques et morales. Les règles juridiques et morales peuvent certes avoir le même contenu et se rejoindre en ce qu’elles engendrent toutes deux des obligations et des sanctions, mais elles ne doivent pas être confondues.

Les obligations légales des descendants envers leurs parents âgées

En France, le seul texte qui traduise l’obligation réciproque de solidarité familiale est relatif à l’obligation alimentaire entre ascendants et descendants. Les descendants sont tenus de venir en aide à leurs ascendants qui sont dans le besoin et qui ne peuvent plus assurer leur subsistance (Article 205 du Code civil). Il s’agit d’une obligation strictement alimentaire qui est limitée à une assistance matérielle et financière. La législation ne contient aucun texte sanctionnant les maltraitances faites spécifiquement aux personnes âgées. Si les dispositions du Code pénal peuvent servir à poursuivre les violences faites aux personnes âgées (délaissement, abus de faiblesse, non– assistance à personne en danger, abus de confiance, vol, escroquerie), celles-ci ne répriment pas toutes les formes de maltraitance. A l’exception de la non-assistance à personne en danger, la reconnaissance des infractions précitées nécessite la réalisation d’une action, d’un acte positif ou volontaire : il en est ainsi, pour le délit de délaissement. Dès lors, les maltraitances par abstention, omission ou négligence ne sont pas incriminées. Les maltraitances psychologiques ne sont pas non plus prises en compte. S’agissant de la dénonciation des actes de maltraitance, lorsqu’une personne, est témoin d’une situation de maltraitance, elle doit la signaler à l’autorité publique ou au Procureur de la République, sous peine d’être pénalement poursuivi et sanctionné (Article 223-6 du Code pénal). Cette obligation pèse également sur les descendants qui constatent ou soupçonnent que l’un de ses descendants est maltraité. On retiendra néanmoins qu’aucun texte ne prévoit une obligation de soins et d’assistance, au sens large, des descendants envers leurs ascendants, ni ne réprime spécifiquement les maltraitances des personnes âgées par leurs descendants.

Faut-il relancer la proposition de loi relative aux devoirs des enfants majeurs envers leurs ascendants âgés ?

Le constat de l’insuffisance de l’arsenal juridique est dressé depuis longtemps. Ainsi, Monsieur Michel Charasse, alors sénateur, avait proposé en 2004 : de compléter l’article 205 du Code civil relatif à l’obligation alimentaire en y incluant : « deux obligations naturelles trop souvent oubliées : celle, pour les enfants, de veiller à la santé ou à la sécurité de leurs parents lorsque l’âge ou l’état physique ou psychique de ces derniers le requiert, et celle de pourvoir à leur sépulture » ; de compléter la qualification du délit de délaissement afin que l’enfant qui s’abstient d’aider un ascendant âgé vivant seul et dont l’état de santé est dégradé puisse être poursuivi ; d’étendre les cas d’indignité successorale afin de supprimer tous droits sur la succession aux enfants ayant été condamnés pour avoir délaissé leurs parents. Cette proposition de loi est restée dans les cartons. On peut néanmoins espérer que, compte tenu du vieillissement de la population, des limites de la solidarité nationale, de l’évolution de la conception des solidarités intra-familiales, la nécessité d’adapter les textes applicables ne tardera pas à s’imposer.

Maître Judith DUPEROY-PAOUR Avocat au Barreau de Paris www.ledroitdesseniors.fr